Marathon des sables, notes de course

Publié le par Grégoire CHEVIGNARD

Marathon des sables, notes de course

Tente 28

Après six heures de car dans des paysages somptueux et sur des routes en excellent état, arrivée nocturne au bivouac avec, donc, chasse aux places disponibles dans les tentes affectées par nationalité. Finalement ce sera une tente estonienne composée de deux estoniens, un allemand et quatre français.

C’est la première fois que des estoniens sont engagés sur le Marathon des Sables (MDS) mais ils m’assurent qu’ils font ça en dilettante, en plus des compétitions de ski de fond en hiver et du triathlon en été.

Il n’y a que des bizuths du désert à l’exception d’un français ancien joueur de football professionnel qui a fini dans les 150 premiers du MDS il y a deux ans et qui court le marathon en 3 heures.

Pour égayer ce foyer très chargé en testostérones une jeune kinésithérapeute qui emmène avec elle un hôpital de campagne, au cas où …

Bref, ambiance Blanche Neige et les Sept Nains même s’il nous manque Simplet (ou Grognon, je n’ai envie d’être désagréable avec personne) pour que le casting soit complet.

Ce petit groupe réuni par le hasard sera notre cellule de vie pendant une grosse semaine.

Bivouac

Bivouac

Tente

Tente

Blanche Neige et les nains : Kathleen, Frédéric, Eric, August, 42-42, Christian, Madis

Blanche Neige et les nains : Kathleen, Frédéric, Eric, August, 42-42, Christian, Madis

Mais avant d’arriver au bivouac

Dès l’arrivée à l’aéroport de Ouarzazate nous avons été mis dans l’ambiance de ce qui semble être, au même titre qu’Eurodisney, une des caractéristiques du MDS : file d’attente et patience. Si en règle générale tu ne paies rien pour attendre, au MDS, c’est l’inverse …

Ceci étant dit, attendre pour passer la douane à l’arrivée d’un vol international extra européen, ce n’est pas rare.

Good morning Saharaaaaaa !

Pour des raisons qui nous échappent à tous, bien que le décalage horaire France / Maroc soit d’une heure l’organisation MDS a décidé que l’heure de référence sur le bivouac serait l’heure GMT, soit deux heures de décalage horaire avec Paris. Cela aura certes absorbé l’heure d’attente cumulée d’hier soir répartie entre affectation des tentes et réfectoire (mais quel plaisir d’avoir un repas chaud et complet après une journée de voyage !) mais a aussi pour inconvénient de créer une certaine confusion au lever, avant que tout le monde ait ajusté son chronomètre.

Je ne saurais donc vous dire si je me suis réveillé à 5h30 ou 6h30 du matin après une nuit passée à me tourner et retourner, sous la tente, entre cailloux et trous dans le sable. Température nocturne et matinale clémente (i.e. pas trop froid), ce qui me rassure ; je n’avais pas opté pour un sac de couchage très rembourré.

Première leçon du désert dès le lever : vérifier le sens du vent avant d’uriner.

La principale occupation de la journée est de finaliser les choix de matériel avant de remettre nos excédents de bagage, qui nous attendront à l’arrivée, à l’organisation et de passer le contrôle qui vérifie poids et composition des sacs avant de nous confier une balise spot fixée sur le sac, de manière à ce que les secours puissent retrouver notre sac en cas d’accident ; le tout c’est de bien penser à conserver son sac avec soi et de ne pas le retirer avant d’aller tomber dans un ravin en allant soulager un besoin naturel) et un transpondeur, très bracelet électronique pour prisonniers en liberté surveillée, à porter à la cheville pendant la course pour que nos temps de passage soient enregistrés.

Le poids (et donc la composition) des sacs à dos est l’obsession de tous depuis des semaines. Chacun attend donc avec inquiétude le verdict de la balance sachant qu’à ce poids il convient d’ajouter le poids de l’eau emportée, soit environ 1.5 kg et que le poids minimum du sac, hors eau, est de 6.5 kg.

Résultat de la pesée des sacs dans notre tente, le vétéran du MDS, Frédéric 6.7 kg, bibi 6.7 kg (il est utile de ne pas s’encombrer de notions d’hygiène et d’avoir l’expérience du scoutisme de ce point de vue ; suivre les conseils avisés de Michel Laurent, blogueur de référence dans ma préparation du MDS ainsi que les addenda humoristiques et frappés au coin du bon sens de Guy Giaoui, aura, aussi porté ses fruits), tous les autres dans la tente, au moins 11 kg, y compris Kathleen (Blanche Neige) qui doit peser 45kg maximum. Je pense qu’à l’issue de la première étape, de nombreux choix déchirants vont s’imposer à tous.

J’ai bien vu quelques impatients s’entraîner à courir, avec ou sans sac, dans l’après-midi, mais ils ne sont pas légion. Comme tout le monde, je passe la journée entre attente et repos, inquiet de la chaleur qui ne cesse de monter et qui contraste sévèrement avec la météo parisienne de la veille (les estoniens nous parlent des dernières traces de neige à leur départ) et impatient de débuter l’épreuve.

Finalement, la référence GMT est une bonne idée : ce n’est pas l’heure du soleil ici et nous partirons donc « à la fraîche » le matin.

Visite dans l’après-midi aux Doc Trotter, l’équipe d’un peu plus de 70 médecins qui veillera à la santé des presque 1400 coureurs : mes fins d’ampoules me chatouillent car mon choix de chaussures de bivouac, de légers chaussons de gymnastique Décathlon, n’est peut être pas optimal, la toile frottant sur le haut des orteils, et je me demande s’il ne vaut pas mieux protéger les orteils avant de commencer à courir. Cela fait sourire de voir les Doc Trotters de voir que nous arrivons au MDS avec des ampoules (je suis accompagné de Blanche Neige). Verdict dans mon cas : ne rien faire pour un des orteils et faire comme je veux pour l’autre.

Et ça, c'est avant la course ...

Et ça, c'est avant la course ...

Ce samedi d’attente s’achève avec le dernier repas chaud servi par l’organisation. Mini tempête de sable oblige, le diner est pris sous une tente où le hasard nous place à côté de Joseph, le doyen de l’épreuve (83 ans, 7ème participation au MDS), serein et … assis sur un tabouret pliant plutôt que par terre comme nous tous. Question : porte-t-il lui-même son tabouret ou le confie-t-il à ses amis coureurs ? Toujours est il qu’il désinhibe tous les sportifs amateurs que nous sommes en s’enfilant un quart de rouge ; je suivrai son exemple avec une bière, autre boisson énergisante bien connue.

La rumeur court sur le bivouac qu’il aurait déclaré ne pas craindre décéder sur le MDS car il aurait déjà perdu sa femme et sa fille. Je ne sais pas si c’est exact mais je doute que cela soit sa conviction : quelqu’un qui a déjà participé six fois au MDS n’est pas psychologiquement un « abandonneur ». Il me semble donc que son affirmation, si elle a bien été prononcée, a plus pour objet d’éloigner les fâcheux curieux des raisons pour lesquelles il s’inflige une telle épreuve à son âge. Reste à voir s’il finira la course, ce que nous lui souhaitons tous.

Retour à la tente avec moins de dix mètres de visibilité, dans la nuit (qui tombe à 19h GMT), le sable, et les rafales de vent qui font tomber plus d’une tente pour une dernière nuit sans courbatures, avant le départ.

Que dit la météo ?

Que dit la météo ?

Les cloches s’envolent

Dimanche de Pâques, premier départ, première étape avec, sur le dos, un sac qui pèse un âne mort. Les 45 minutes passées à prendre la pose pour la photo aérienne « 30ème édition du MDS », et le briefing d’avant course ont déjà sapé mon énergie. Je me refuse à penser aux 36 km à venir, à la chaleur. Moment d’émotion au départ avec Highway to Hell à la sono et l’hélico qui nous filme en rase motte au dessus de nos têtes pendant que le peloton s’ébranle. Ambiance Apocalypse Now ou Good Morning Vietnam assurée. Pour ceux, dont moi, dont c’est la bande son, le moment, bref, est intense.

C'est parti pour 250 km ...

C'est parti pour 250 km ...

Je n’ai aucune idée du rythme auquel il faut courir mais suis certain que ce n’est pas celui de Frédéric, que je laisse me devancer, ni celui de Meghan (prétendante à la victoire chez les femmes) qui n’a pas besoin de ma permission pour me laisser sur place. De toute façon, après 300 m, le rythme s’impose de lui-même. Sol instable et poids du sac me font opter pour une foulée et une cadence raisonnables qui s’apparente à la vitesse d’un footing de récupération le lendemain d’un marathon ; la vitesse à laquelle, si tu vas moins vite, tu t’endors ou meurs d’ennui. Pendant une heure je trottine et me fais dépasser par des hordes de coureurs, pour certains très impressionnants physiquement et, pour d’autres, très quelconques. La vision de ces derniers m’aide à me sentir un peu plus à ma place.

Il y en a pour qui c'est parti plus vite que pour d'autres ...

Il y en a pour qui c'est parti plus vite que pour d'autres ...

Après deux heures de course, rencontre avec le sable. Je ne fais pas de description. Allez courir sur une plage, là où le sable n’est ni mouillé, ni tassé. Les pieds glissent, les appuis fuient, on n’avance plus, on piétine, on transpire, on s’énerve, on s’essouffle, on se désespère. La chaleur et la fatigue montent ; je suis content d’avoir écouté les conseils de Frédéric : dès qu’on trouve de l’eau, s’arroser tête et corps. Cela fait un bien fou pendant cinq minutes.

Rencontre avec le sable, rencontre avec un désert très surprenant, très vert. Il a du pleuvoir il y a quelques jours. Il y a même des marguerites au milieu d’une dune, des fruits qui poussent au sol, quelques fleurs.

On est bientôt arrivé ?

On est bientôt arrivé ?

Etape terminée en cinq heures environ, émerveillé par le désert, abruti par la chaleur et inquiet d’avoir à recommencer le lendemain.

Arrivé dans la tente, je vois que Frédéric, les deux estoniens (Madis et August) et l’allemand (Eric) sont déjà là. Soit je suis lent, soit je suis tombé dans une tente de bons coureurs.

Rapidement changé, je m’approche de la tente internet pour envoyer mon mail quotidien. Quarante cinq minutes d’attente et d’échange avec les autres concurrents, tous dans les mêmes dispositions d’esprit. Soulagés d’être arrivés au terme de l’étape sans trop de difficultés, vaguement inquiets de savoir s’ils sauront reproduire l’effort tous les jours sachant que cette première était annoncée comme « facile », une étape d’acclimatation.

A côté de la tente email se forme une deuxième file d’attente pour consulter le classement. Divine surprise, je pointe à la 400ème place ce qui est mieux que mon objectif initial (première moitié du classement, soit top 650). Le leader de notre tente est Frédéric, 121ème. Bien entendu, je me fixe illico un nouvel objectif, maintenir ce rang (ce qui est une erreur car c’est un objectif défensif donc générateur de stress) sachant que mon inconscient se met à rêver d’un top 300 qui semble inaccessible : je n’ai pas chômé aujourd’hui et n’avais pas beaucoup de réserves sous la semelle et compter sur la défaillance d’une centaine de coureurs semble illusoire (et anti sportif). Qui plus est, l’étape du jour ne présentait aucune ascension notable et était donc faite, a priori, pour des gabarits légers, comme moi, et pas pour des gabarits plus puissants et donc plus lourds.

Retour à la tente où c’est la grande braderie : les estoniens et Blanche Neige allègent leur sac afin que celui-ci descende sous la barre des 10kg. J’y gagne une brandade de morue, un saucisson que je découpe pour consommation immédiate avant qu’il n’ait trop transpiré, un dessert que je consommerai au petit déjeuner le lendemain. Avec Frédéric, nous nous entendons pour continuer à nous alléger : il jette gamelle et réchaud ; nous utiliserons ma gamelle et son combustible.

Madis, qui a sa montre GPS et, donc, un chargeur solaire pour la recharger tous les jours, nous fait le debrief de la journée : en net (montées moins descentes), nous avons grimpé de 1800 m. Je reprends espoir pour la suite des évènements ; finalement l’étape n’était pas si plate que ça, l’incessant dénivelé positif a favorisé les costauds au détriment des gringalets.

L’ensemble de la tente soigne ses pieds, cette première journée ayant marqué l’apparition des ampoules. La plus touchée semble être Blanche Neige qui a fait l’expérience de l’attente à la tente clinique : deux heures. Christian y passera, lui aussi, longtemps bien que ses pieds semblent être en relativement bon état. Pour ma part j’échappe au fléau et m’en félicite (bien que je n’y sois pour rien).

Demain, deuxième étape, 31 km annoncés avec trois grosses ascensions. C’est véritablement le début de la course. Courir 36 km comme aujourd’hui, tout le monde sait faire. Enchaîner les journées, c’est une autre paire de manches (ou de chaussettes en l’occurrence).

Etape Distance Temps Vitesse Classement étape

1 36.2 5h42 6.32 399

Bonne nuit

Bonne nuit

Certains l’aiment chaud

Pour cette troisième nuit sous la tente, j’ai retrouvé tous les automatismes du scoutisme ; c’est comme le vélo, cela ne s’oublie pas. Sac à dos comme oreiller, chaussures rangées à l’envers pour éviter l’intrusion du sable et des rampants locaux, sommeil par tranches de vingt minutes : sur le côté droit, puis sur le dos, puis sur le côté gauche, puis sur le côté droit … Résultat, pas de douleurs au lever bien que je sois le seul de la tente 28 à dormir sans matelas de sol (et c’est heureux, car j’ai du être le seul à avoir des crampes aux jambes pendant la nuit).

Ce matin, scène cocasse et furtive. Hier, à mon arrivée, je me suis préparé une boisson de récupération (70 grammes de SLM Fast, pour protéinée et 2 sachets de ProArgi 9+) dont j’avais conditionné les doses dans des préservatifs. Comme je ne suis pas spécialement ordonné, j’ai laissé le préservatif vide près de mon sac à dos, pensant le jeter plus tard puis j’ai oublié. Résultat, ce matin Blanche Neige se lève, range son sac de couchage et va faire un brin de toilette (elle) ; reste en évidence sur le sol entre son emplacement et mon sac de couchage le préservatif usagé de la veille. Regard admiratif, dans ma direction, des deux Estoniens. Ils me demandent en souriant si j’ai passé une bonne nuit et je leur réponds qu’elle a été excellente. Ils se marrent et ne disent rien de plus. Ce n’est qu’en me retournant pour sortir de mon sac de couchage que je découvre la raison de leur discrète hilarité. Par égard pour la réputation internationale des french lovers, je ne tenterai pas de dissiper le quiproquo.

Les ingrédients du repas type (petit dej et récup)

Les ingrédients du repas type (petit dej et récup)

Arrivée tardive sur la ligne de départ, nous avons donc manqué la moitié du briefing d’avant étape de Patrick Bauer mais il lui en reste suffisamment à dire, comme chaque matin, pour que nous ne soyons pas en manque de bonnes paroles.

La question qui préoccupe le peloton est de savoir si Joseph, le doyen, finira l’étape du jour qui est annoncée comme chaude et pentue. Il semblerait qu’il ait achevé la première étape dans un état de fraîcheur qui laisse à désirer.

Le départ est donné sous les pales de l’hélico, au son de Highway to Hell ; presque toujours autant d’émotion et admiration devant le professionnalisme de la gestion de l’image par l’organisation MDS avec caméras et photographes toujours présents et bien placés.

Très rapidement, l’étape s’annonce chaude. Aucun vent pour rafraîchir l’atmosphère, sueur à grosses gouttes dès 500m de course malgré l’horaire matinal ; je regrette déjà de n’avoir pas bu toute mon eau au bivouac.

Tout le monde a sa crème solaire ?

Tout le monde a sa crème solaire ?

Cette journée, très chaude, est physiquement éprouvante mais l’étape est superbe avec des ascensions d’oueds, des passages dans un désert très vert, un passage sur les crêtes qui permet une vue à l‘infini qui fait prendre conscience de l’immensité du désert, la traversée surréaliste d’un lac asséché dont on ne voit pas la fin. A l’issue de la troisième ascension descente un peu technique dans le lit de ce qui doit être un torrent, sur des dalles polies de roches bleues veinées de blanc. Je m’en donne à cœur joie et dépasse nombre de concurrents, plus prudents que moi.

J’achève l’épreuve éprouvé, justement, par la chaleur –un bénévole nous annonce 52° C au plus chaud de l’épreuve du jour- mais pas mécontent d’avoir pu avaler sans trop de difficultés –même s’il m’a fallu laisser passer du monde- les trois ascensions. J’aurai, un peu plus tard l’explication de ce relatif sentiment de facilité malgré les ascensions : le dénivelé net cumulé de la journée est négatif ; nous avons descendu 1200 m.

Surprise, mon classement d’étape que je pensais voir se dégrader (j’ai été dépassé par nombre de coureurs qui avaient fini derrière moi la veille) s’est amélioré avec une 355ème place. Cela me rassure sur la possibilité de rester dans le top 400 et m’amène à penser que si malgré la chaleur j’ai progressé c’est que certains se sont peut être trop livrés hier et commencent déjà à décliner. Comme le principe directeur de mon entraînement a été la répétition de courses sur plusieurs jours plutôt que les longues distances, je me dis que cela a peut être été le bon choix. Mais il ne s’agit que de la deuxième étape et il est bien trop tôt pour commencer à échafauder des théories. Seules certitudes à ce stade, je suis fatigué et je n’ai pas d’ampoules, je gagne donc une à deux heures de récupération par jour (pas besoin de m’occuper de mes pieds).

J’ai eu la surprise de devancer Eric, l’allemand de la tente aujourd’hui. Il arrive défait et se rend à l’évidence : son sac est trop lourd. Il l’allège lui aussi, mais pas en nourriture, rien à récupérer ; le chacal qui sommeille en moi s’en désole.

Gémissants, nous finissons tous par nous coucher avant 20h pour récupérer. J’aperçois August sortir une flasque de Vodka dont il s’enfile trois lampées. C’est efficace, 15 minutes plus tard, il dort.

Etape Distance Temps Vitesse Classement étape

1 36.2 5h42 6.32 399

2 31.1 5h13 5.94 355

Un peu de dénivelé pour tester les cuisses

Un peu de dénivelé pour tester les cuisses

Lever du pied gauche

Mauvaise surprise au réveil, j’ai les cuisses courbatues, certainement le fruit de mes cabrioles en descente la veille. C’est particulièrement raide et peu enclin à courir que je m’achemine vers la ligne de départ en compagnie de Christian qui, tel un puissant diesel, fait son bonhomme de chemin, régulier, économe de son énergie et efficace et Kathleen qui, plus le temps avance, ressemble de moins en moins à Blanche Neige mais, comme nous tous, à un nain, mineur de fonds, couvert de poussière. Kathleen dont les pieds sont en charpie, ce qui ne manque pas de tous nous inquiéter dans la tente même si elle fait preuve d’une détermination qui nous rassure sur ses dispositions psychologiques.

Au départ de cette troisième étape nous avons la confirmation de ce que la rumeur annonçait comme probable : Joseph le doyen de l’épreuve ne prendra pas le départ de l’épreuve du jour.

Le nombre annoncé d’abandons et hors délais est relativement faible à l’aube du départ de cette troisième étape et laisse à penser que les coureurs sont mieux préparés que les autres années ou, plus probablement, que les conditions météorologiques sont plus clémentes cette année. Mais comme traditionnellement le nombre d’abandons culmine lors de la troisième étape, il est un peu tôt pour disserter sur le sujet et, surtout, pour y penser.

Briefing, Highway to Hell, hélico, caméras, départ. La routine …

J’ai le plaisir de courir quelques hectomètres avec Lahcen Ahansal, décuple vainqueur de l’épreuve, qui est revenu cette année, pour célébrer la 30ème édition, comme guide de non voyant. Je n’ose engager la discussion avec ce monument du MDS que je salue d’un « bonjour champion » qui a l’air de lui faire plaisir. Je le reverrai le soir au bivouac en train, comme chacun, de ramasser du bois pour allumer le feu communautaire de la tente. C’est une des magies du MDS, les leaders sont logés à la même enseigne que tous ; pas de passe droit, pas de traitement de faveur, pas de comportement de star.

Je souffre pendant toute l’étape de mes cuisses raides et de la chaleur et ne parviens jamais à trouver mon rythme. Je dérive donc toute la journée à la traîne d’autres concurrents dont je tente d’emboiter le pas, sans succès. Je ne m’inquiète ni pour l’étape, ni même pour celle du lendemain, de 92km, dont je sais qu’elle sera à ma portée mais plutôt pour la dernière comptant au classement, le marathon du surlendemain. Si mon état de forme ne s’améliore pas j’aurai épuisé mes réserves avant le début de cette épreuve.

Je finis l’étape, pour la première fois, sans eau. Je n’en ai pas manqué mais j’ai eu besoin de tout et n’ai pas de réserve de « confort ».

Comme chaque jour, visu sur la ligne d’arrivée quelques kilomètres avant l’arrivée. Reprise de la course pour franchir cette ligne au trot plutôt qu’au pas. Petit salut à la webcam (quand j’y pense) située derrière la ligne d’arrivée puis, ensuite, petit verre de thé à la menthe sucré servi par le sponsor SULTAN. Quelques décamètres plus loin, remise de la ration d’eau de la soirée soit 3 bouteilles de 1,5 litres à porter, en plus du sac, jusqu’à la tente. Juste à côté de la distribution d’eau, une sorte d’Eléphant Bleu où on ne lave pas les voitures mais où chaque coureur a le plaisir d’être aspergé au Karcher en mode brumisateur pendant 30 secondes. Le coureur qui me précède, un français, retire son T Shirt pour mieux en profiter. Refus net du préposé marocain à la brumisation : il faut conserver son T Shirt de course avec dossard afin qu’il puisse s’assurer que chacun ne passe qu’une fois. Il répète avec véhémence : « Contrôle, contrôle ! ». C’est efficace, le français râle puis remet son T Shirt ; je ne tente même pas d’enlever le mien et me fais asperger. Je suis suivi (c’est la première fois que je la devance) par l’efficace et accorte ManHa de Hong Kong qui, ne parlant pas français, n’a rien entendu de nos échanges et retire prestement son T Shirt pour se présenter en short et brassière minimalistes à la brumisation. Le marocain est aux anges, les français sont hilares et chantent à tue tête « Contrôle, contrôle ! » mais sans effet. ManHa a droit à une douche de deux minutes qui ravit tout le monde.

Man Ha avant la douche

Man Ha avant la douche

La douche

La douche

Arrivée à la tente où, en fonction de son ordre d’arrivée, après avoir posé son sac, on part chercher du bois (Frédéric le plus souvent, Christian ou moi parfois) pour le feu du soir ou se change en tenue de bivouac (short, T shirt, tongs) avant, en fonction du besoin, d’aller faire la queue à la tente médicale ou à la tente internet. Pour ceux qui arrivent entre 13h (Frédéric, Madis, August) et 15h (Erik et moi), le timing ne pose pas de problème ; nous avons le temps de tout faire avant que la nuit ne tombe (19h).

En revanche, Kathleen, eu égard à son horaire d’arrivée, doit choisir entre tente clinique et tente email ; et même ainsi c’est parfois juste. Aujourd’hui, l’épreuve a éprouvé les corps et les coureurs veulent préparer au mieux leurs pieds pour l’épreuve longue de demain. Résultat, beaucoup d’attente à la clinique. Kathleen arrivée en milieu d’après midi et repartie se faire soigner les pieds immédiatement se fera piéger par la nuit et la tempête de sable. Partie sans lampe frontale, elle fera trois fois le tour du camp avant de se faire raccompagner à notre tente et ne pourra se nourrir, le vent violent qui couche les tentes interdisant d’allumer le moindre feu.

Je découvre au fil des discussions que Madis, un des estoniens, a appartenu à l’équipe d’athlétisme de l’armée soviétique (800m et mile). Ses performances n’ont cessées de s’améliorer au fil de ses étapes et il fait désormais jeu égal avec Frédéric qui a de bonnes chances de finir dans le top 100, son classement s’améliorant de jour en jour.

Le point commun entre ces deux sportifs de bon niveau est qu’ils passent énormément de temps à dormir et se reposer. Ils gèrent beaucoup mieux que nous leur récupération et la régularité de leurs apports hydriques et nutritionnels. Ils connaissent beaucoup mieux que nous leur corps. Par exemple, nous sommes nombreux à boire notre eau quand nous la recevons et à la finir juste avant le départ ou d’en recevoir de nouveau à un point de ravitaillement (CP pour les pratiquants du MDS). Résultat, dans les kilomètres qui suivent ligne de départ et points de ravitaillement, colonne fournie de coureurs en train d’uriner. Une pause pipi, le matin, c’est 15 places au classement, l’après-midi, quand le peloton est étiré, c’est 5 places au classement. Bref, tout cumulé sur une journée type, les pauses pipi c’est jusqu’à 25 places au classement. Et bien Madis nous explique qu’il a étudié la question et que la solution optimale en termes d’hydratation est de courir avec, en permanence, une très légère envie d’uriner. Dès que cette envie survient, ne plus rien boire jusqu’à ce qu’elle disparaisse –le corps puisant dans la vessie ce dont il a besoin- puis attendre encore 20 minutes avant de boire de nouveau quelques gorgées. Ne souriez pas, cette technique est le fruit de nombreux mois d’entraînement et expérimentation et … cela fonctionne.

En revanche, aucune recommandation de Madis, qui a étudié la question, pour l’obsession de tous les coureurs en ces lieux sans arbres ou arbustes derrières lesquels s’abriter des regards, la grosse commission. Et oui, nous descendons chaque jour un peu plus bas dans la pyramide de Maslow, nos préoccupations sont de plus en plus basiques. Dormir, se nourrir, boire, éliminer, courir.

Nuit très ventée, et donc agitée, à la veille de la longue étape, 92 km, que les plus lents boucleront en près de 36 heures.

Etape Distance Temps Vitesse Classement étape

1 36.2 5h42 6.32 399

2 31.1 5h13 5.94 355

3 36.7 5h37 6.59 328

Un des rares arbustes : 15 places perdues au bas mot

Un des rares arbustes : 15 places perdues au bas mot

When the going gets tough, the tough get going …

Alléluia, plus de courbatures aux cuisses. Elles étaient bien le fruit de mes folies en descente, et pas de la fatigue accumulée.

Today will be a good day, je le sens. J’ai déjà couru quelques épreuves longues et j’ai toujours aimé ça (à défaut d’exceller dans cet exercice). Les discussions entre autres coureurs me laissent penser que s’ils connaissent pour nombre d’entre des formats trail 65-75 km ou route 100 km, plus rares sont ceux qui ont tâté des efforts de plus de 15 heures, que ce soit sur route ou en trail (Christian doit être l’exception dans notre tente).

Comme je n’ai toujours pas lu le road book, fort joli mais peu parlant (les dénivelés ne sont pas indiqués), j’entreprends Frédéric, qui a l’expérience du MDS, sur ses objectifs chronométriques. Après une savante règle de 3, j’ajuste les miens en fonction de nos écarts habituels. Plutôt que de viser 20h de course, je me cale, en souhaitant ne pas avoir de défaillance liée à la chaleur, sur 18h de course ce qui correspond à une durée que j’ai déjà pratiquée à trois reprises.

Nous sommes tous inquiets, et admiratifs, pour Kathleen. Il a déjà fallu, hier, forcer à deux pour qu’elle puisse enfiler ses chaussures. Aujourd’hui, il a fallu l’aide d’un couteau pour élargir l’accès aux chaussures pour qu’elle puisse y glisser ses pieds. Comme, de plus, elle n’a pas diné hier, le temps que son corps assimile ce qu’elle a ingurgité ce matin, elle en a pour une heure ou deux sur des pieds douloureux et pas encore chauds, sans énergie. Avec un départ ce matin à 8h, elle prévoit d’arriver demain à 16h en limitant ses pauses à 10min par ravitaillement, soit 32 heures à marcher dans le désert, avec des pieds en charpie. Sa détermination fait plaisir à voir.

Très beau duel de regards entre Frédéric et Madis ce matin au départ, ambiance far west, option Clint Eastwood. Les deux se respectent comme athlète et ne rêvent donc que de mater l’autre. L’étape du jour sera déterminante pour savoir s’ils accèdent au top 100 et dans quel ordre.

Aujourd’hui les 50 premiers hommes et les 5 premières femmes partiront 3 heures après le peloton. Ils nous doubleront donc sur le parcours, ce qui nous permettra d’admirer leur foulée et mesurer, de visu, le monde qui sépare un athlète de haut niveau (le deuxième au classement général est médaillé olympique de marathon) et les coureurs du dimanche que nous restons malgré notre entraînement un peu plus poussé depuis quelques semaines.

J’ai le plaisir d’échanger quelques mots, en début d’étape, avec Lahcen Ahansal (j’ai osé cette fois-ci) qui me dit être content de revenir sur la course mais trouver cela difficile. Je mets quelques instants à comprendre que ce n’est pas l’effort physique qui lui est pénible mais le fait de ne pas courir pour la victoire. Il prend le temps de s’arrêter pour faire le pitre avec un puits ce qui m’oblige à lever les yeux de mes chaussures. Je me rends alors compte que nous courons au milieu d’un troupeau de dromadaires noirs que j’imagine être sauvages.

Le début de l’étape se passe bien. Ce que cela signifie, c’est que comme tout le monde autour de moi, je cours les deux premières heures de l’épreuve. Ce n’est qu’après cet « échauffement » que le corps décide si la journée sera bonne ou pas, c'est-à-dire si les jambes acceptent de continuer à courir après deux heures d’effort ou pas. Aujourd’hui, quatre heures après le départ, je suis toujours en train de trottiner et, dans un moment de lucidité, j’éclate de rire. Cela fait plus d’une heure que je cours sans doubler personne, sans être doublé par personne et sans que les écarts entre coureurs ne changent. L’absurde de la situation me frappe. Ce n’est pas humain de courir quatre heures. Encore moins dans le désert. C’est carrément surréaliste de se retrouver à courir à plusieurs centaines, en file indienne, dans le désert, comme si c’était la chose la plus naturelle du monde, avec, encore, au bas mot, une douzaine d’heures de course devant soi. Et pourtant, tout le monde continue, comme si de rien n’était.

Cours Forrest, cours ...

Cours Forrest, cours ...

Ca y est, les premiers coureurs élite me dépassent, au loin, sur la droite ; ils ont du choisir un autre chemin que celui de la foule dans les dunes. Leur vitesse et ma fatigue sont telles (six heures que je cours, 3 heures qu’ils courent ; ils vont donc deux fois plus vite que moi sur la portion de course sur laquelle je suis le plus frais) que je n’imagine même pas pouvoir les suivre quelques hectomètres. Je suis heureux de constater qu’une de mes idoles (Christophe Le Saux, qui a la particularité de courir plus de km en compétition que n’importe qui d’autre) est très bien classé et remontera au classement général sauf défaillance. Je suis agacé de constater que le coureur qui l’accompagne demande à un concurrent « de base » de l’eau. Un peu « facile » de courir léger pour le classement et de compter sur les autres. Mais qui suis-je pour juger ?

Quelques temps plus tard, je suis doublé par une légende du trail, Marco Olmo, 67 ans aux prunes, classé dans le top 20. Tout le monde ricane à son passage car il porte le sac à dos WAA, comme la moitié du peloton. L’autre moitié du peloton porte le sac à dos Raidlight, modèle Marco Olmo. Je parviendrai à caler ma foulée dans celle de Marco Olmo pendant 300m avant de lâcher prise.

Nous encourageons les élites qui nous dépassent ; ils ont tous la gentillesse de nous remercier d’un mot ou d’un geste ce qui, avec 1300 concurrents à dépasser, n’est pas rien.

Christophe remonte au classement général et nous dépose sur place

Christophe remonte au classement général et nous dépose sur place

J’ai ensuite la surprise de trottiner avec Jean Hugo qui entame la discussion avec moi et me fait part de soucis gastriques. Comme je sais qu’il est classé dans le top 50 je suis assez étonné de voir que mon rythme lui convient… jusqu’à ce que je le décroche en trottinant. Si j’ai bien compris, il sera arrêté longuement au point de ravitaillement suivant pour déshydratation. Ceci explique cela, il ne m’est malheureusement pas poussé une paire de jambes d’athlète.

La chaleur finit par me faire lever le pied et décrocher. Bien que cela ne soit pas prévu au plan de marche, je m’arrête longuement au ravitaillement suivant pour m’aérer les orteils et boire ma boisson de récupération protéinée (un préservatif de 70 grammes de SLM Smart mélangés à deux sachets de ProArgi9+ et 500 ml d’eau) normalement réservée à l’après course, après m’être allongé sous une tente. J’ai la surprise de voir un concurrent italien poser son sac à dos à côté de moi, en sortir un paquet de cigarettes et s’en griller une.

Pendant cette pause, j’ai le déplaisir de voir ManHa-HKG, Theresa-NZL et Ana-PRT me passer devant. Ce sont trois coureuses qui font partie de mes repères quotidiens ; si je suis devant, je maintiens mon rang ; si je suis derrière, je prends du retard.

Je redémarre doucement –les jambes sont raides et la chaleur forte- mais sûrement.

Je trottine tranquillement jusqu’à 19 heures, heure à laquelle la nuit tombe et je parviens à un point de ravitaillement. Il ne s’agit, chaque fois, que d’un ravitaillement en eau puisque nous sommes en autosuffisance pour la nourriture. Arrêt express, allumage de la lampe frontale, départ en trottinant.

Et là, à partir de 19h30, grosse défaillance physique et mentale. Marre de marcher et courir, aucun espoir d’en avoir bientôt fini, impossible d’avaler quoi que ce soit. Soupçon d’ampoules aux pieds, orteil qui continue à être douloureux après que j’ai par mégarde shooté dans un rocher. Bref, le coup de barre classique. Il n’y a qu’une solution, continuer à avancer sans trop réfléchir et garder la foi dans le fait que, comme à chaque fois en ultra, après ce bas succédera un haut. La seule inconnue est la durée du bas. Une heure ? Deux heures ?

Pfffff !

Pfffff !

20h30, je n’ai toujours pas envie d’avancer et j’ai le moral dans les chaussettes mais le corps reprend le dessus. A force de marcher vite (enfin, pour moi), les groupes musculaires sollicités par la marche commencent à cramper (néologisme ?). Mes jambes, pour éviter les crampes, se mettent alors en mode trottinement, de leur propre initiative, à ma grande surprise.

Et là commence un grand moment de bonheur ; je n’arrêterai presque plus de courir jusqu’à l’arrivée de l’étape, les quelques épisodes de marche étant dictés par le terrain (sable mou et profond). Je ne cesserai de dépasser des concurrents, jusqu’à 500 mètres de l’arrivée où je me fais le plaisir de ralentir un peu dans un faux plat montant pour laisser au coureur italien que je viens de dépasser l’illusion qu’il peut me reprendre. Quand le halo de sa lampe frontale me rattrape, j’accélère de nouveau et le dépose sur place. C’est mesquin mais comme je l’ai eu en ligne de mire pendant 10 minutes avant de pouvoir le rattraper, car c’était un des rares à encore courir par intermittence, je n’ai pas pu m’empêcher de me faire un peu plaisir (cela doit être un des rares moments du MDS où un semblant d’esprit de compétition s’est saisi de moi et que j’ai raisonné en fonction d’un autre coureur plutôt qu’en fonction de mon état de forme). Je dois dire, aussi, que je viens de réaliser que si j’accélère le pas, je peux boucler l’étape avant minuit, soit en moins de 16 heures. Cela n’a aucune espèce d’importance mais on s’attache à des symboles pour avancer et se motiver.

Bref, arrivée juste avant minuit dans un état de fraîcheur physique relative, fraîcheur qui rappelle celle du vent violent qui vient de se lever et effondre une tente sur cinq au bivouac.

J’ai la surprise d’arriver en troisième position sous la tente, pour la première fois. Et pour la première fois, aussi, Madis sera arrivé –avec environ une heure d’avance- avant Frédéric. Je n’avais imaginé pouvoir arriver avant August qui, ce matin, devait avoir au moins 150 places d’avance sur moi au classement général.

Je m’effondre et m’endors immédiatement malgré la tempête de vent, puis me réveille à trois reprises dans la nuit pour l’arrivée d’August, Erik puis Christian avec, à chaque fois, une pensée collective pour Kathleen et ses pieds meurtris.

Home sweet home

Home sweet home

J R T T

Réveil avec le lever du soleil, comme chaque jour, pour une journée sans running puisque nous attendons ceux des concurrents qui arriveront dans la journée avant l’heure limite de 20 h.

Notre seule mission, ce jour ci, c’est de récupérer et profiter d’avoir deux repas chauds dans la journée (déjeuner – qui habituellement se compose d’une barre de céréales en courant- et diner) et une boisson fraîche : entorse à l’autosuffisance, l’organisation MDS a inauguré, l’an dernier, la distribution d’un soda frais le jour de la fin de l’épreuve longue ; nous le savons, nous attendons avec impatience ce moment.

L’autre préoccupation, c’est de ne pas mourir d’ennui en attendant que la journée passe.

L’ambiance sur le bivouac est détendue et festive : chaque arrivée de coureur est saluée par tous, comme si chaque coureur venait de réaliser un exploit (pour ceux qui courent avec les pieds en sang, cela doit en être un ou, à défaut, au moins une expérience de vie qui permet de tester sa volonté).

Pour une fois, les files d’attente sont minimes : les horaires d’ouverture des tentes internet et infirmerie sont larges et tous les coureurs ne sont pas encore là. Nous en profitons tous pour augmenter le nombre d’emails envoyés, même s’il faut refaire la queue entre chaque email. Ceux qui n’en ont pas envoyé jusqu’à maintenant le font ; les graphomanes repassent deux ou trois fois à la tente, tente qui mérite le détour. Deux rangées de PC avec, chacun, deux claviers (AZERTY et QWERTY) et un coureur en tenue de bivouac (débraillé donc) tentant de rédiger un email en 1000 caractères pile : plus on ne peut pas, moins on a l’impression de gâcher. Le bénévole qui gère la tente a la bonne idée d’y avoir créé une ambiance zen avec bâtons d’encens (il jure que ce n’est pas à cause de l’odeur des concurrents) et musique d’ambiance qui hésite entre musique classique et la dernière compilation Nature & Découverte. Et à l’entrée de la tente, gros flacon de gel hydro alcoolique pour se laver et désinfecter les mains avant de toucher aux claviers communautaires ; aubaine pour qui, comme moi, n’a pas jugé bon d’emporter de savon mais qui, malgré tout, n’est pas contre le fait de se débarrasser d’un peu de sueur et crème solaire mêlée de sable qui colle aux jambes.

L’attente pour envoyer des mails est aussi l’occasion de faire des rencontres inattendues. J’entame la discussion avec une américaine qui doit faire la moitié de mon poids et me moque gentiment de son gabarit. Cela la fait rire, elle me chambre un peu et nous continuons dans le registre de la moquerie bon enfant sur les supposées absences de chances de l’un et l’autre de finir la course entier. La discussion dérive sur le matériel, comme souvent entre coureurs, et nous devisons assez longuement sur ses chaussures qui sont d’un modèle que je ne connais pas, bien que portant le sigle d’un grand équipementier. Elle m’explique comment les chaussures ont été conçues et je finis par comprendre qu’il n’y en a qu’un modèle, conçu pour elle, par ledit grand équipementier. Je viens de chambrer une des prétendantes à la victoire chez les femmes …

Je me dispense d’aller à la tente infirmerie, l’examen de mes pieds ne fait apparaître qu’un ongle noir (mais pas douloureux) et deux petites ampoules qui me permettent de pouvoir dire que je suis enfin entré dans la confrérie des coureurs du MDS mais ne me font pas souffrir.

Au passage à la tente « classement », je ne suis pas peu fier de constater que mon classement s’est significativement amélioré grâce à l’épreuve longue ; je viens de passer dans le top 300, ce qui me semblait inaccessible il y a encore deux jours. Je m’emballe un peu, me mets à rêver d’un top 250 au classement général et en suis à me dire que comme mon classement s’améliore à chaque étape, il faudra que je pense à m’inscrire à une course qui dure quinze jours plutôt qu’une semaine.

Frédéric et Madis sont aux portes du top 100 ; il leur faudra confirmer demain.

La journée passe donc entre périodes de somnolence, repas, boisson fraîche, emails, lecture (impressionnant comme une œuvre aussi courte que « Le vieil homme et la mer » parvient à traduire la durée du combat de l’homme contre l’espadon, l’épuisement et les requins) et écriture ou photos.

Nous relisons aussi, au calme, les emails reçus depuis le début du MDS. Chaque jour, la cérémonie est la même, les bénévoles apportent à la tente l’impression des emails reçus par chacun en mode distribution du courrier dans un camp de prisonnier. Arrive le moment délicat, qui en général m’échoit car je sers de traducteur entre français et autres nationalités qui ont la bonne idée de parler anglais, de distribuer les liasses d’email et de devoir annoncer qu’un d’entre nous n’en a pas reçu ; il s’agit en règle générale d’un des estoniens.

Cette correspondance est curieuse car nous recevons des messages qui, tous, nous requinquent, mais auxquels nous ne répondrons pas de manière directe car nous pouvons, au mieux, envoyer un email par jour, email qui est ensuite redistribué par le récipiendaire de confiance, soit via un transfert à une mailing list pré établie, soit via un blog.

Ce qui est encore plus curieux et touchant, c’est de comprendre avec quelle ferveur et précision certains suivent nos aventures. On est presque gêné de cette attention … et de ne pas savoir faire mieux en course. Ils ont visiblement plus d’informations que nous sur la course, son déroulé, les faits marquants en tête, etc, etc. En effet, l’organisation MDS fait un gros travail de retransmission des informations et images … à destination de l’extérieur. Pour notre part, tels des autruches, nous avons le bec dans le sable et notre horizon ne s’étend guère au-delà du cercle de notre tente et des quelques coureurs que nous croisons le plus fréquemment sur les pistes ; ce n’est qu’au retour que nous découvrirons les images et la relation qui a été faite de notre quotidien.

Toujours est il que ces emails font, chaque jour, à leur arrivée un bien fou.

Quand les derniers concurrents sont sur le point d’arriver, l’organisation prévient le bivouac pour que nous nous réunissions tous autour de la ligne d’arrivée afin de les accueillir. Les cinq ou six derniers seront donc accueillis par une haie d’honneur d’un peu plus de mille coureurs et bénévoles qui saluent leur courage ; car du courage, pour marcher plus d’une trentaine d’heures dans le désert, il leur en a fallu. Personne n’ose leur parler de ce dont ils doivent bien avoir à l’esprit néanmoins : seront-ils prêts à prendre le départ pour l’étape marathon du lendemain matin ?

A fond dans la récupération avec pléthore d'eau

A fond dans la récupération avec pléthore d'eau

Kathleen est arrivée un peu plus tôt dans l’après-midi, dans le timing qu’elle avait annoncé, à une demi-heure près. Elle aura parcouru l’étape en claquettes de douche, ses pieds ne supportant plus ses chaussures de course.

Elle appartient donc à la confrérie des bizarrement chaussés. Une concurrente voulait faire le MDS pieds nus ; l’organisation l’en a dissuadé, elle fera donc l’épreuve en sandalettes très minimalistes. J’ai aussi croisé un coureur qui fera toute l’épreuve en Croc’s. Il m’explique que lors de sa première participation au MDS, dès la première heure de course, ses pieds étaient en sang et qu’il ne pouvait plus supporter ses chaussures de course ; il avait donc utilisé ses chaussures de bivouac, des Croc’s pour le reste du MDS. Cette fois-ci, il ne sera pas embarrassé de chaussures de course.

Pour les aspirants coureurs au MDS, deux conseils sur les chaussures. Le premier, que vous lirez partout mais qui est fondamental : prendre des chaussures de course deux tailles trop grandes. Oui, deux tailles, c’est énorme, mais ce n’est qu’à cette condition que vous pourrez espérer échapper aux ampoules ou, si vous en avez, que vous pourrez espérer remettre le matin dans vos chaussures vos pieds gonflés par la chaleur et emmaillotés de pansements. Le deuxième, dont je prends conscience en voyant Kathleen arriver en claquettes de douche : prenez des chaussures de bivouac aérées, bien entendu pour que les pieds sèchent, mais avec lesquelles vous pourriez éventuellement marcher sur de longues distances (avec des chaussettes) sans que ces chaussures de nous blessent les pieds. J’en aurais été incapable avec mes chaussons de gymnaste et aurais donc du abandonner si mes chaussures de course et mes pieds ne s’étaient pas entendus.

Solution bricolée avec les moyens du bord

Solution bricolée avec les moyens du bord

Moins, ce n'était pas possible

Moins, ce n'était pas possible

Les Croc's en action ... c'est moins stylé que la sandale avec vernis à ongle

Les Croc's en action ... c'est moins stylé que la sandale avec vernis à ongle

C’est assez détendus que nous finissons tous la journée, heureux d’avoir bouclé la longue étape qui fait figure d’épouvantail sur le MDS, désormais certains (ou presque) de finir la course ; après six jours dans le désert, il ne nous reste plus qu’une étape chronométrée, de 42.2 km, pour franchir la ligne d’arrivée finale.

Cela sent l’écurie, dans tous les sens du terme.

Au moment de me coucher, une inquiétude : il me reste près de deux litres d’eau ; cela signifie que, trop occupé à ne rien faire et papillonner pendant cette journée de repos, je n’ai pas assez bu. Il est trop tard pour le faire (sauf à vouloir me relever toutes les heures cette nuit) ; j’espère que ce manque d’hydratation ne me fera pas défaut demain.

Etape Distance Temps Vitesse Classement étape

1 36.2 5h42 6.32 399

2 31.1 5h13 5.94 355

3 36.7 5h37 6.59 328

4 91.7 15h58 5.76 248

Marathon, d’aucuns en sont mort

Après le petit déjeuner, l’euphorie d’en avoir bientôt fini et l’épuisement de nos réserves de nourriture rendent nos sacs à dos légers ; nous n’en sentons presque plus le poids. C’est heureux car avant-hier nous avons du affronter un fort vent de côté pendant des heures ; résultat mon sac s’est déporté du côté gauche pendant des heures et la bretelle droite a frotté, pendant tout ce temps, sur la base de mon cou plutôt que, comme d’habitude, sur les épaules que j’avais protégées d’élastoplast. Résultat, chair à vif du milieu du cou jusqu’à la clavicule droite pour cette dernière étape ; ce n’est pas grave mais c’est inconfortable.

La spécificité de l’étape du jour, c’est que les 200 premiers au classement général partiront deux heures après le peloton afin, j’imagine, que l’amplitude horaire des arrivées soit diminuée par égard envers les familles et les officiels qui seront présents.

Tout à mon euphorie de mon classement à l’étape longue, je m’imagine faire la course dans le groupe de tête du peloton pour avoir une chance d’émarger au top 250 au classement général et je me rends sur la ligne de départ dans cette optique.

Visiblement, je ne suis pas le seul à nourrir des ambitions chronométriques pour cette étape, l’accès, avant la ligne de départ, à l’avant du peloton étant impossible, sévèrement gardé par une muraille de dos et sacs à dos qui, habituellement, s’effaçaient pour laisser passer les ambitieux du jour. En l’absence des 200 meilleurs au classement général, chacun se sent une âme de leader.

Nous sommes à peine partis depuis un quart d’heure que je vois, loin devant moi, une longue file de coureurs s’échappant vers l’horizon. Comme je cours au moins aussi vite que sur les autres étapes, ce constat me laisse perplexe. J’en arrive à la conclusion que ces coureurs sont partis trop vite (en théorie, eu égard à mon classement, je ne devrais en voir qu’une grappe devant moi) et qu’ils finiront par s’essouffler. J’abandonne donc l’idée de faire course en tête –j’en suis incapable à ce rythme que je juge déraisonnable- et me cale sur une vitesse un peu supérieure à ce que mes jambes ont fini par intégrer comme rythme de croisière désert.

Après une heure de course, je ne sais plus où j’en suis. Je ne chôme pas et pourtant, je ne rattrape aucun coureur. Pire, je ne cesse de me faire dépasser. Si mes jambes continuent à assurer le rythme, l’esprit commence à douter : qui sont ces coureurs que je n’ai jamais vu qui me dépassent ? Où sont mes points de repère habituels, en particulier Muriel et Thierry dont la vitesse et le classement sont très semblables au mien bien qu’ils démarrent plus vite que moi en général avant que je les récupère en fin d’étape ? Suis-je bien certain que mes jambes avancent au rythme que j’imagine ?

Entre la deuxième et la troisième heure de course, je lâche prise.

Tout le monde court alors que d’habitude c’est à ce moment que je commence à remonter ceux qui coupent leur effort pour marcher ; le terrain n’est pas facile et impose des efforts de navigation (c'est-à-dire de choisir où poser ses pieds pour ne pas s’enfoncer dans le sable) que mon manque de concentration m’empêche de faire ; la chaleur commence à se faire ressentir ; la fin de l’étape est encore loin ; ces dernières heures de course sont sans enjeu car, même en marchant, je sais que je finirai l’étape et, donc, le MDS, ce qui était très incertain comme résultat au moment de mon inscription, il y a un peu moins d’un an.

Bref, petit coup de barre classique mais que, pour une fois, je n’ai pas la lucidité d’analyser comme tel et de contrer avec quelques amandes ou fruits séchés (je recommande les griottes séchées, cela réveille les papilles ; d’un point de vue nutrition sportive, mieux vaut s’en remettre aux amandes mais après une semaine d’amandes, la diversité est bienvenue).

Résultat, je finirai l’étape dans ces dispositions d’esprit plutôt que de profiter, sourire aux lèvres, des dernières heures de course dans le désert et n’avancerai en courant que parce que je souhaite en finir au plus vite, toute idée de classement abandonnée.

C’est donc avec soulagement, et sans autre émotion, que je passe la ligne d’arrivée, pressé d’aller me reposer. Paradoxalement, c’est presque un des moments les moins marquants de cette semaine de course dans le désert.

Bof

Bof

J’observe, interloqué, ceux des coureurs qui fondent en larmes en passant la ligne d’arrivée ou en recevant des mains de Patrick Bauer la médaille MDS. Comme ce sont des coureurs qui sont arrivés en même temps que moi, nous avons à peu près le même niveau, ce qui signifie que, normalement, nous n’avons pas douté une seconde de pouvoir boucler le MDS, la seule incertitude étant le temps que nous mettrions.

Il ne faut pas pleurer Madame

Il ne faut pas pleurer Madame

Après m’être alimenté et reposé une heure, je reviens sur la ligne d’arrivée pour assister à la fin de course des coureurs qui nous suivent.

La présence des familles en fait un moment particulier avec l’arrivée, main dans la main, d’un père et de son fils de 5 ans, habillé exactement comme lui. L’arrivée de ceux qui ont couru en binôme tout au long de la course est aussi émouvante ; tous se tombent dans les bras et je ne peux m’empêcher de les admirer : quand je cours, j’ai déjà du mal à me supporter dans la difficulté, je n’envisagerais donc pas d’avoir à me coltiner les états d’âme, asynchrones, d’un autre coureur. Enfin, je suis admiratif de tous ceux qui ont prévu –ou improvisé- une chorégraphie pour leur passage de la ligne d’arrivée : malgré la fatigue et la chaleur, ils projettent une aura de bonheur et joie de vivre.

Maintenant que je me suis alimenté et que l’hypoglycémie a disparu, je vis, par procuration, à chaque arrivée, le plaisir et la fierté d’avoir bouclé ce MDS. Je finis par réaliser que ce plaisir et cette fierté, je les ai ressentis à l’arrivée de l’étape longue, il y a deux jours et qu’aujourd’hui, j’ai subi les effets de la décompression que j’ai entamée hier, certain de devoir en finir honorablement de ce MDS.

Pas mécontent quand même ...

Pas mécontent quand même ...

L’enjeu de la journée était de savoir si Madis et Frédéric finiraient dans le top 100. La visite à la tente à la tente classement me permet de le leur confirmer, Madis devançant finalement Frédéric.

Pour ma part, sans surprise, je constate que mon classement d’étape, pour la première fois, s’est dégradé et est même le pire du MDS avec une 433ème place, confirmant ainsi mes impressions de la journée. Mais la surprise vient de ce que cette étape est celle où j’ai couru le plus vite, bien qu’elle ait été plus longue que chacune des trois premières étapes et qu’elle se déroule en fin de MDS après une semaine d’effort et sous-nutrition. Bref, contrairement à ce que je pensais, je n’ai pas si mal couru, ce sont tous les autres coureurs qui ont beaucoup mieux couru que d’habitude !

Un vent fort balaie le bivouac et rend la cérémonie de remise des prix et la présence d’une délégation de l’Opéra de Paris en clou de la soirée chaotiques et peu suivies. Comme l’estrade et le podium ont été montés à proximité de notre tente, nous pouvons profiter de l’ensemble du fonds de notre sac de couchage et il faut reconnaître que c’est assez magique d’être allongé dans le désert, au chaud, le vent caressant le visage, la lune en point de mire, Opéra de Paris dans les oreilles.

Etape Distance Temps Vitesse Classement étape

1 36.2 5h42 6.32 399

2 31.1 5h13 5.94 355

3 36.7 5h37 6.59 328

4 91.7 15h58 5.76 248

5 42.2 5h56 7.08 433

Général 38h26 6.19 291

Quand il n’y en a plus, il y en a encore

Curiosité organisationnelle, il nous reste une étape à parcourir, celle-ci est chronométrée mais ne compte pas pour l’établissement du classement général.

Il y a certainement un historique qui explique cette curiosité, mais je ne le connais pas.

Nous sommes, ce jour-ci, tous vêtus d’un T Shirt bleu aux couleurs de l’UNICEF à qui cette étape est dédiée ; je ne saisis pas bien qui va voir nos T Shirt bleus puisque nous courons dans le désert ni comment le fait de porter des T Shirt bleus aide l’UNICEF mais je ne creuse pas la question.

Le grand intérêt des cette courte étape, 11.5 km, est, qu’elle est la dernière et qu’elle ne compte pas pour le classement général ; chacun peut donc faire ce qu’il souhaite. Certains de ceux qui ont marché jusqu’à maintenant vont s’essayer à la course à pied ; pour ma part je vais marcher avec Eric et Kathleen et, enfin, prendre quelques photos ; d’autres vont courir aussi vite que possible pour monter dans les premiers bus et arriver aussi tôt que possible à l’hôtel pour, enfin, se doucher, les derniers, comme Christian, vont faire l’étape en compagnie de leur famille ou sponsors qui les ont rejoint.

Les familles et sponsor sont logés depuis la veille dans des tentes « luxueuses » à proximité de notre bivouac. Par luxueuse, il faut entendre qu’elles ferment plutôt que d’être ouvertes au vent, qu’on peut y tenir debout et qu’il y a des lits de camp. Convaincus d’être logés dans des conditions spartiates, les visiteurs de ce dernier jour marquent un temps d’arrêt quand ils découvrent nos tentes et l’étalage de pieds ensanglantés et meurtris. Un des sponsors de Frédéric nous fait sourire quand il nous explique qu’il ne marchera pas les 11.5 km car il craint d’avoir une ampoule à cause de ses chaussures neuves.

Je comprends mieux, lors de cette étape, la douleur de ceux qui ont eu à souffrir des pieds. Ce matin je n’ai pas enfilé mes guêtres, fermeture éclair grippée par du sable (c’est embêtant pour un équipement prévu pour maintenir le sable hors des chaussures). Je me coltine donc plus de trois heures de marche dans les dunes avec le sable qui entre comme bon lui semble dans les chaussures, s’agglutinant en plaques abrasives sous la plante des pieds, sous les orteils, sur les orteils, tout autour du talon. Comme cela m’agace de devoir vider mes chaussures chaque quart d’heure pour éviter les ampoules, je retire mes chaussures et finis la deuxième moitié de l’étape en chaussettes, ce qui n’est guère plus confortable ; rien à voir avec une ballade sur la plage.

Cette étape est l’occasion de discuter avec l’équipe Transavia qui a tiré et poussé pendant l’ensemble du MDS une joëlette qui accueillait des enfants handicapés afin que ceux-ci puissent découvrir le désert. J’imaginais que l’ensemble des membres de l’équipe étaient des vétérans du MDS, suffisamment sûrs d’eux pour, en plus de l’effort à accomplir en parcourant la distance avec leur sac à dos, choisir de tracter à la force des bras une chariote chargée d’un enfant qui, de ce que j’ai pu en voir, n’était pas rachitique. C’est avec stupéfaction que j’ai appris que l’équipe Transavia 2014 était composée uniquement de bizuths du MDS et que l’équipe Transavia 2015 comptait moitié de bizuths. Invité à pousser la joëlette quelques dizaines de mètres dans le sable, mon admiration a encore grimpée d’un cran.

L'équipe Transavia

L'équipe Transavia

Je ne suis pas mécontent d’arriver au terme de cette étape que j’avais fait l’erreur d’aborder comme une aimable ballade. Finalement, plus de 3 heures de marche dans le sable, sous le soleil, à grimper et descendre les superbes mais néanmoins pentues dunes de Merzouga, ça demande un peu d’énergie. Comme j’ai fait l’impasse sur mon petit déjeuner (je ne supporte plus la poudre d’amande que j’ai mélangé à mes poudres protéinées) et que je n’ai plus de réserves alimentaires, les crampes d’estomac qui me travaillaient par intermittence depuis deux jours lors des épreuves après trois ou quatre heures de course, font vite leur apparition et ne me quittent pas.

Arrivée, restitution de la balise spot et du transpondeur, dernières places dans le dernier car d’un convoi de six cars qui part immédiatement pour Ouarzazate (six heures de route).

Fin de l’aventure.

La dernière ligne droite

La dernière ligne droite

Le jour d’après

Réveillé par la faim malgré un repas hier avec une demi-douzaine de cuisses de poulet, une baguette de pain, profusion de riz et pâtes et trois desserts. Les jambes et le dos sont raides. Bref, il semblerait que le corps a compris qu’il peut de nouveau manifester des exigences et mécontentements après une semaine de course et bivouac.

Les discussions entre coureurs portent sur le bonheur de prendre une douche, de prendre un repas chaud, de retrouver un lit, de se vêtir de propre, de s’assoir sur une cuvette munie d’une lunette. Cela semble être le quinté gagnant. Pour ma part, ce que j’apprécie le plus, c’est de pouvoir m’assoir sur des chaises plutôt qu’au sol ; l’effet de mon absence de souplesse certainement.

Cette journée à Ouarzazate permet de retrouver forme humaine avant de reprendre, le lendemain, l’avion pour Orly. C’est aussi l’occasion de faire le point sur cette course qui est le projet (et le budget) d’une année entre réflexions préalables à l’inscription, entraînement, acquisition et préparation du matériel puis, enfin, la course.

D’aucuns argumenteront en comparant le budget, élevé, de cette course et, d’une part, leurs expériences sur d’autres courses, moins onéreuses et, d’autre part, leurs attentes. Ils ont raison de le faire, cela permet à chaque organisateur d’ajuster son niveau de prestation ou son budget. Je ne me placerai pas dans cette logique ; j’ai accepté de payer le prix, que je connaissais, j’ai fini de le payer en 2014, nous sommes en 2015, ce n’est donc plus, dans mon esprit, une question d’actualité.

D’autres mettront l’accent sur les loupésorganisationnels autour des horaires d’arrivée ainsi que de la gestion de l’affectation des tentes puis des hôtels. Ils ont raison de le faire ; c’était, pour le moins perfectible. Je ne me place pas dans cette logique ; je ne suis pas venu pour le confort de l’hôtel ou le nom de mon voisin de tente (il est vrai que je me suis inscrit en solo, pas avec un groupe d’amis) mais pour courir 250 km dans le désert dans de bonnes conditions de sécurité et avec un confort spartiate en course.

Certains, enfin, regretteront que le niveau moyen des coureurs soit faible et que cela enlève, donc, du prestige à l’épreuve qui, de ce fait, ne pourrait plus se revendiquer comme une des « toughest races in the world ». J’avoue ne pas comprendre cette critique du niveau moyen au sens où je ne vois pas en quoi la course des 20 premiers est affectée par le nombre de personnes qui courent derrière et en quoi l’opinion de ceux qui ne sont pas dans les 20 premiers a la moindre importance en termes de jugement de la performance puisqu’ils ne font pas partie de l’élite. Oui, le niveau moyen est faible puisque en mettant presque deux fois plus de temps que le vainqueur, je me retrouve dans le premier quart du classement général alors qu’avec le même écart par rapport aux vainqueurs sur de grands trails classiques (Templiers par exemple), je me retrouve dans le dernier quart des concurrents. Et alors ? En quoi l’instauration de barrières horaires plus strictes changerait-elle la manière de courir des uns et des autres ? En quoi l’élimination, en course, d’un plus grand nombre de concurrents, rendrait-elle l’expérience plus agréable ou honorable pour ceux qui n’auront pas été éliminés ? Ce qui est certain, c’est que pour la grande majorité –dont je fais partie- ne pas avoir à se préoccuper des barrières horaires est un grand confort psychologique.

Je suis arrivé dans le Sahara avec les yeux écarquillés de l’enfant qui découvre, pour la première fois, le désert. Cette promesse du Marathon Des Sables, de nous faire découvrir le désert, a été tenue et bien au-delà. Les paysages étaient superbes et variés et même les portions les moins plaisantes étaient, dans leur genre, des expériences nouvelles. Je ne sais pas ce que les vieux fennecs du désert en auront pensé, mais pour ma part, ce fut un bizutage réussi.

J’ai pris le départ de la première étape avec la crainte de, parfois, avoir le risque de m’égarer à cause d’un balisage trop limité. Mon sens de l’orientation étant à peu près nul, je ne souhaitais pas devoir recourir au road book et à la boussole bien que je sache utiliser l’un et l’autre ; je ne me suis pas inscrit à une course d’orientation. A l’exception d’un moment de doute de quelques minutes pendant la nuit lors de l’épreuve longue, je n’ai pas, une seule seconde, eu besoin de réfléchir à la direction à prendre ou à la piste à suivre tant le balisage était évident. Ce fut donc, aussi, une réussite.

Tout de suite, on balise moins de se perdre

Tout de suite, on balise moins de se perdre

J’ai craint, avant le départ, de devoir, parfois,SOUFFRIR de la soif. Les quantités d’eau distribuée et l’espacement entre les différents points de distribution nous ontASSURÉ une hydratation parfaite tout au long de la course sans que nous ayons, pour autant, à porter pendant des kilomètres des litres d’eau. J’ajoute que les modalités de distribution de l’eau permettent de préserver la fluidité de la course.

Je me suis demandé, avant de partir, combien de concurrents viendraient au MDS en quête spirituelle ou à l’occasion d’une crise existentielle, espérant trouver entre les dunes, la sueur et les ampoules des réponses à leurs interrogations, ce qui aurait pu plomber un peu l’ambiance. La réalité des délais d’inscription à cette épreuve (presqu’un an à l’avance pour les français, deux ans pour les anglais) font qu’à moins d’une crise existentielle longue et profonde, ce profil psychologique se retrouve assez peu sur le MDS, soit que la crise d’origine ayant conduit à l’inscription a eu le temps de se dissoudre dans le quotidien et l’entraînement, soit que la crise est apparue après l’inscription et que le MDS n’est pas, de prime abord, conçu comme la solution. En revanche, le fait d’être coupé du monde (sauf pour les quelques concurrents munis d’un téléphone portable ou clients de la tente téléphone satellitaire) et abruti par chaleur et fatigue pendant une dizaine de jours transforme bien le MDS en une forme deRETRAITE, pas en ce que cela favorise l’introspection mais en ce que cela vide l’esprit des habituelles considérations quotidiennes. Le MDS c’est une pause dans la vie, et c’est déjà pas mal.

Je me suis interrogé, avant le départ, sur les conditions de cohabitation entre près de 1 400 fêlés, habitués à ne pas s’en laisserCOMPTER, en état de fatigue, de sous nutrition et hypoglycémie chroniques et tous équipés, cela faisait partie du matériel obligatoire, d’un couteau. La « télévision réalité » nous a habitués à des affrontements homériques entre concurrents d’épreuves moins ardues que le MDS ; la réalité MDS est qu’il règne en permanence une ambiance bon enfant, teintée d’humour et solidarité. Bien plus qu’une compétition le MDS est une somme d’aventures individuelles partagées et vécues ensemble, dépouillée de bien des artifices et postures périphériques aux courses sans étape ; la course se charge de confronter chacun à ses capacités, au vu et su de tous. De ce point de vue, mon seul regret est de ne pas avoir suCOURIR plus vite pour disposer de plus de temps pour échanger sur le bivouac avec Ricardo, Guy, Michel, Djodei, etc. , etc.

Bref, si j’ose écrire, un premier MDS est une formidable aventure qui tient ses promesses etOFFRE un cadre de course professionnel et sécurisé.

C’est donc une course que je recommanderais à tous ceux qui ont déjà couru un ou deux marathons, ou ont l’habitude des longues randonnées en montagne, et sont prêts à s’entraîner au moins autant que pour un marathon mais pendant presque un an plutôt que juste quelques semaines.

Est-ce une course sur laquelle je retournerai comme coureur ? Je n’en suis pas certain car, d’une part, j’en suis encore à découvrir nombre de courses et retourner sur l’une d’entre elles, c’est se priver d’une nouvelle aventure et, d’autre part, je ne suis pas certain que la magie de la découverte et l’ébahissement ressenti face aux moyens mis en œuvre survivent à une deuxièmePARTICIPATION.

En revanche, retourner au MDS comme marcheur afin de pouvoir être accompagné de proches avec qui partager cette aventure, pourquoi pas…

Publié dans Course

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D
Tu veux sans doute dire : blanche fesse et les sept mains !
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4
Si c'est ainsi que ça se dit en estonien...