Tor des Géants : course ou épreuve ? (Part 1)

Publié le par Grégoire CHEVIGNARD

Notre Dame de Guérison à Courmayeur : tous n'en sortiront pas indemmes

Plus près de toi mon Dieu

Pour des raisons que je ne saurais expliquer, le Tor des Géants m'est apparu, depuis que j'en ai découvert l'existence, comme le summum de la course à pied et y participer comme l'apogée de ce qu'un coureur peut espérer boucler comme épreuve.

Quelques esprits observateurs, en cette année olympique, m'objecteront qu'une finale de 100m ou un marathon à Rio peuvent aussi prétendre au rang de course ultime et ils auraient raison ... pour la population des coureurs d'exception, dotés par la nature de gènes et d'une volonté propres à en faire des dieux du stade.

N'ayant pas gagné à la loterie génétique, je ne prétends pas gravir l'Olympe pour y rejoindre Hermès et me contente, comme coureur loisir, de modestement viser le statut de demi-dieu, hors stade.

Ou, à tout le moins, de tenter de parcourir le chemin de croix débutant à Notre Dame de Guérison à Courmayeur et conduisant au jardin des anges, lieu d'arrivée de la course.

A moins que ce ne soit 95 ou 110%

Arithmétique en toc

Bref, vous l'aurez compris, avant même de m'inscrire à cette course j'en faisais grand cas et avais succombé au vertige de ses gigantesques dimensions : entre 330 et 350 km selon les différentes mesures des organisateurs et 24.000 m à 30.000 m de dénivelé positif cumulé, soit l'équivalent de l'ascension de trois fois l'Everest ou cinq fois le Mont-Blanc. Le tout en 150 heures maximum, soit un peu plus de six jours.

L'unique certitude de cette introduction chiffrée concerne le temps maximum pour boucler l'épreuve.

Quant à la distance précise, les banderoles partout affichées, mais imprimées il y a sept ans pour la première édition, annoncent 330 km, le road book fourni par l'organisation stipule 338,6 km et la course concurrente, courue la semaine précédente sur le même parcours, dans l'autre sens, met en avant une distance de 350 km. Vous me direz que je chipote, mais après presqu'une semaine de course, 5km en plus c'est presque deux heures d'effort, en fonction du dénivelé ...

Quant au dénivelé exact, les banderoles historiques annoncent 24.000m de dénivelé positif cumulé, la course concurrente 25.000m et le road book affiche fièrement 30.000m. Il n'y a guère qu'un Mont Blanc de différence ...

Pour les habitués des plaines, comme moi, pour tenter de comprendre l'effort que représente le dénivelé, une règle de conversion simple consiste à estimer que 100m de dénivelé positif représente le même effort que 1km de plat. Et personne ne compte le dénivelé négatif qui, sur une boucle comme au Tor des Géant est, fatalement, l'équivalent du dénivelé positif.

Pour résumer, en nous élançant, nous ignorons si l'effort à fournir en 150 heures maximum est un équivalent 330km + 24.000m de D+, soit 570km d'effort sur plat ou 350km + 30.000m de D+, soit 650km de course en plaine.

Mais quand on aime, on ne compte pas ...

J'en ai vite eu plein les bottes. DNF

Genèse

Mais je m'emballe car avant de se lancer dans ce tour du Val d'Aoste par la Haute Route 2 puis la Haute Route 1, qui franchissent environ 25 cols de plus de 2000m d'altitude (nous ne sommes plus à un ou deux près), une fois acquise la certitude d'être inscrit, ce qui est une épreuve à part entière (http://42ans-42bornes.over-blog.com/2016/02/tor-des-geants-alea-jacta-est.html et http://42ans-42bornes.over-blog.com/2016/03/tor-des-geants-suite-de-la-suite.html), il convient de s'y préparer.

Il convient d'autant plus, dans mon cas, de s'y préparer que l'enseignement principal de ma première année de course à pied est que je suis incapable d'avancer en montée et que les descentes sont fatales à mes genoux (abandon à la 6000D en juillet 2014). Comme j'ai consacré ma deuxième année de course à pied au plat et à l'allongement des distances afin de pouvoir courir 100 miles, ce qui fut fait en juin 2015 (ultra marin), il me reste à me mettre au dénivelé à l'occasion de ma troisième année de course à pied.

Fin mars 2016, inscription au Tor des Géants confirmée, il me reste donc 6 mois pour trouver des côtes à proximité de chez moi et tenter de progresser. Comme je n'en ai nulle envie et qu'en parallèle je tente de finaliser le projet europathon (un marathon dans chacun des vingt neuf pays de l'Union Européenne), de participer à mon premier triathlon (merci Pierre Henri) ce qui suppose d'apprendre à nager le crawl et d'honorablement figurer à une épreuve de 24 heures (No Finish Line Paris fin avril), l'été arrive sans que je n'aie affronté plus pentu qu'une volée de marches d'escalier.

Pour me rassurer, je me suis inscrit à un trail court dans le Jura (Transju'trail, 72km et 3200 D+) qui est censé me permettre de reprendre contact avec les dénivelés et valider mon état de forme à trois mois de l'échéance. Or, éprouvé par une dizaine de jours à gérer la crue de la Seine à Paris (j'habite sur un bateau), j'arrive malade (en plus de n'être pas préparé) et ne suis pas trop malheureux d'être éliminé par une barrière horaire qui m'épargne au moins cinq heures de course dans la boue et sous la pluie.

J'inaugure mes bâtons

Comme je n'avais pas prévu beaucoup plus d'entraînement en montagne que ce trail censé me rassurer, je me suis trouvé un peu dépourvu, voire dépité et inquiet, à un moment où j'aurais dû être sur le point d'attaquer le dernier cycle d'entraînement pour le Tor des Géants.

Mais la providence, par l'intercession de ma belle soeur (merci Sonia), veillait. Je me suis trouvé invité à participer à une course en montagne d'une journée avec mon frère Donald. Nous abordons comme deux parisiens cette journée. Train au départ de la Gare de Lyon samedi matin, rendez vous à la gare de Bourg Saint Maurice avec le guide en début d'après-midi, passage éclair au magasin de sport du coin pour louer chaussures et crampons, direction le refuge pour attaquer le Mont Pourri (3779m) via le glacier le lendemain. L'acclimatation a donc lieu dans la voiture entre Bourg Saint Maurice et Les Arcs.

Belle journée qui me réconcilie avec le dénivelé et nous permet de constater que nous sommes la plus lente des cordées. Mais qui me permet, surtout, d'inaugurer mes bâtons, achetés un an et demi plus tôt (les soldes!) et jamais utilisés de peur de ressembler à un randonneur plutôt qu'à un coureur. L'expérience est édifiante : je découvre qu'il est possible d'évoluer plus de huit heures en montagne sans avoir mal au dos !

Journée, aussi, qui m'amènera à vérifier ce qu'est le matériel obligatoire au Tor des Géants. Nous avons, en effet, malheureusement assisté au dévissage d'une cordée qui se concluera après une glissade de plusieurs centaines de mètres sur le glacier par le décès des deux alpinistes.

Les crampons font bien partie du matériel obligatoire au Tor des Géants.

En amuse bouche : Chartreuse, Vanoise, Belledone, Oisans

Pendant ce temps, Marie Amélie, avec qui j'ai découvert le trail en montagne (6000D en 2014), poursuit sa préparation pour l'UTMB (je n'ai pas été tiré au sort et ne serai donc pas de cette aventure cette année), aimable plaisanterie de 170km et 10.000m de dénivelé autour du Mont-Blanc, qui a la bonne idée de se tenir un mois avant le Tor des Géants.

Informé de son entraînement, il ne me reste qu'à en copier, à mon rythme, les caractéristiques. Elle s'inscrit à un stage spécifique qui consiste, en groupe, à parcourir le tour du Mont Blanc en quatre jours avec un groupe ? Quatre semaines plus tard, je me saisis de mon sac à dos, réserve quelques nuits en refuge, et pars faire seul le tour du Mont Blanc en trois journées aussi ardues que douloureuses pour mes cuisses de citadin.

Elle court l'UTMB (avec une infiltration au genou pour rendre l'exercice un peu plus ardu) ? Je m'inscris à l'UT4M160 Challenge (160km et 10.000m de dénivelé en quatre jours autour de Grenoble) une semaine plus tard. J'ai cru mourir de chaud le premier jour, mourir tout court le deuxième jour, avant de me surprendre à apprécier le troisième jour puis courir, grâce à la présence de Carole, ma complice des courses de 24 heures, presque tout le quatrième jour.

Bref, l'été s'achève beaucoup mieux qu'il n'a débuté et j'ai réussi à me convaincre, puisque Marie Amélie, blessée, a bouclé l'UTMB, que je parviendrai probablement à survivre au premier tiers du Tor des Géants.

Une journée idyllique

Préliminaires

C'est donc très conscient de l'insuffisance de mon entraînement -j'ai du parcourir au mieux un tiers de la distance que j'avais parcourue pour me préparer au Marathon des Sables et je dois peser près de dix kilos de plus- et néanmoins relativement serein que j'arrive à Courmayeur avec trois jours d'avance afin de m'acclimater à l'altitude.

Mon inquiétude liée à mon impréparation est tempérée par le fait que j'estime qu'il est impossible d'être totalement prêt pour une telle course dont une des caractéristiques n'est pas la difficulté de l'effort (enfin, je l'espère) mais sa durée.

Je décide de consacrer mon premier jour à Courmayeur à une promenade qui doit me conduire au sommet du premier col du Tor des Géants (col de l'Arp). L'idée est de m'acclimater à l'altitude et d'effectuer une mini reconnaissance qui permette de me rassurer sur mes capacités. Je sais aussi qu'il convient de m'économiser afin d'éviter de puiser dans des réserves dont j'aurai bien besoin.

J'attaque donc à un rythme paisible l'ascension. Rythme d'autant plus paisible que chaleur et brutalité du dénivelé m'interdisent d'envisager d'aller beaucoup plus vite. Assez rapidement, il apparaît que je n'ai aucune idée d'où je me trouve et je soupçonne que je ne suis pas sur le bon versant de la montagne, voire, pas sur la bonne montagne. In petto, je me congratule d'avoir choisi une course qui ne soit pas une course d'orientation.

Arrivé à un refuge, je déjeune puis repars à l'assaut de la montagne ... au petit trot. Le dénivelé s'est assagi, le déjeuner m'a requinqué, il fait beau, bref je profite de l'instant. Je finis par m'arrêter pour me désaltérer et récupérer un quart d'heure avant de faire demi tour et effectuer la descente en courant d'une traite jusqu'à Courmayeur.

Environ quatre heures de promenade sous un soleil radieux et dans un cadre magnifique, un état de forme étonnament bon dès que la pente n'est pas trop forte, bref, tous les indicateurs sont au vert.

Enfin, jusqu'au lendemain matin ...

Je me réveille les cuisses tellement raides d'avoir couru en descente et "cassé de la fibre" (les trailers comprendront), qu'il me faut cinq minutes pour passer de mon lit à la salle de bain dans une chambre qui ne fait que 12m2 puis cinq minutes de plus pour descendre les deux étages de ma chambre à la salle du petit déjeuner.

Je finis par arriver à la salle du petit déjeuner où, en discutant avec mon hôte, je comprends que je n'étais pas sur la mauvaise montagne la veille (mais bien sur le mauvais versant) et que je n'ai gravi qu'un peu plus de la moitié du dénivelé qui m'aurait permis d'atteindre le col.

Bref, cette première journée, bien que plaisante, se solde par un coup au moral -incapable d'atteindre le premier col au terme d'un effort qui ne m'a pas semblé négligeable- et au physique -j'ai rarement eu aussi mal aux cuisses hormis un lendemain de trail.

Heureusement, je me changerai les idées durant l'après-midi avec le retrait du dossard, la préparation du sac base de vie (sac confié à l'organisation et que nous retrouverons tous les 60 km environ avec nos affaires de rechange) et la pasta party, traditionnel diner d'avant course que j'évite toujours religieusement mais auquel j'ai décidé de participer cette fois-ci : comment rater une pasta party en Italie ?

Euh, je crois que mon matériel est dans un sac jaune

Comment dit-on organisation en italien ?

N'étant pas du genre à excessivement préparer mon matériel et mes courses à l'avance, j'avais pris la précaution, afin de ne rien oublier, d'imprimer la liste du matériel obligatoire susceptible d'être contrôlé lors de la remise des dossards afin de m'éviter d'oublier quelque chose et/ou d'avoir à retourner en mon logement, à deux kilomètres du lieu de remise, pour compléter mon paquetage.

C'est donc assez fier de mon sens, inhabituel, de l'organisation que je me présente, comme 800 autres coureurs, à la remise des dossards. Sans surprise -c'est la même histoire chaque année- cette formalité est un grand moment de convivialité : il faut bien meubler les 2h30 d'attente.

Premier constat, qui n'est pas pour me rassurer, je ne rencontre que des coureurs qui habitent à la montagne ou, dans le pire des cas, au pied de la montagne. Ce que je me permets de qualifier de séance de travail en côte est pour eux le trajet quotidien pour aller acheter le pain à la boulangerie. Entendre deux guides de montagne discuter entre eux de leur peu de certitudes quant à leur capacité à boucler l'épreuve ne me rassure guère ...

Deuxième constat, si sur les courses que je fréquente habituellement, il n'est pas rare d'entendre les coureurs parler de leur "palmarès" tant pour frimer que pour se rassurer sur leur capacité à finir honorablement la course, rien de tel ici. Je ne croise parmi les français que des vieux briscards du trail, qui ont commencé à courir en montagne avant même que le mot trail ne soit connu du grand public, ou des passionnés sur entraînés s'étant préparés spécifiquement à cette épreuve depuis plus d'un an, ou des finishers de l'une ou l'autre des éditions du Tor des Géants. Autant dire que je ne risque pas de croiser mes habituels -et très souvent bien meilleurs que moi- concurrents ; nous sommes dans une autre division. Je dois être le seul, ou presque, à n'avoir jamais couru l'UTMB.

Troisième constat, il y a des choses qui ne changent pas en trail. La veille de la course, un tiers des coureurs sont déjà habillés de pied en cap pour la course, comme s'ils allaient dormir dans leur tenue afin d'être certains de ne rien oublier. Cela ne me semble pas être le meilleur calcul sachant que nous aurons le plaisir de porter chaussures et tenue de course pendant plus de six jours. A l'aise en bermuda, polo et tennis de toile, je ricane donc discrètement devant leurs tenues bien compressées ...

Préalablement à la remise du dossard, il est vérifié que nous avons bien l'ensemble du matériel obligatoire. Pour, j'imagine, gagner du temps, un embouteillage est créé pour que chaque coureur tire au sort trois papiers sur lesquels sont indiqués les éléments contrôlés en plus des crampons. Tirage au sort, trois papiers sur huit, le contrôle portera sur crampons (pour tout le monde), veste imperméable avec couture thermosoudées et capuche intégrée, altimètre et ... chaussures de course. Je fais observer au contrôleur que les chaussures de course ne figurent pas à la liste du matériel susceptible d'être contrôlé -et j'exhibe fièrement la copie écran du site internet de la course le prouvant- et qu'à ce titre je n'ai sur moi que des tennis en toile. Mon italien et son anglais sont insuffisants pour que nous puissions avoir un échange constructif ; je peux me brosser avec ma liste internet et il me faut fournir une paire de chaussures de course. J'insisterais bien un peu mais la pression des 300 coureurs encore derrière moi, dont une partie significative en habit de lumière qui ne comprend pas qu'on puisse se présenter sans chaussures de course, me convainc d'attendre le lendemain, en course, d'être sur un chemin étroit en montée en montagne pour créer un bouchon et me faire quelques ennemis. C'est avec une joie parfaitement dissimulée que j'envisage l'aller retour à l'hotel et une nouvelle séance d'attente dans la queue...

Par chance, l'exigence, nouvelle, de crampons, sans plus de précisions, est génératrice de toute une communauté de refuznik qui avait cru pouvoir se présenter avec des crampons minimalistes de type Trax. Je troque donc temporairement mes crampons contre une paire de chaussures de course (41 alors que je chausse du 45) et parviens à passer, pieds nus, le contrôle et obtenir mon dossard qui porte le numéro 1282 ce qui, pour une course censée n'attribuer que 700 dossards, me semble exagéré. J'apprendrai plus tard que les numéros de dossard suivent une double logique : à chaque finisher de l'édition précédente, un dossard dont le numéro est leur classement 2015, aux autres coureurs est attribué, par ordre alphabétique, un dossard dont le chiffre est supérieur à 1000. Il n'y a donc aucun dossard entre 500 et 1000.

Je passe le reste de l'après-midi dans ma chambre d'hotel à remplir le sac base de vie de matériel que je n'utiliserai probablement pas (qui change de caleçon pendant une semaine de course ?) mais que je me sens contraint d'emporter, au cas où ...

Retour au Palais des sports où, curieusement, la remise des sacs base de vie est fluide et l'installation aux tables de la pasta party aussi. Après le briefing course, durant lequel nous apprenons que quelques modifications de parcours allongent légèrement la distance, bière, charcuterie et pâtes pour ce que je pense être mon dernier repas chaud avant une semaine.

Retour hotel et nuit paisible ; c'est l'avantage de l'altitude, pas d'insomnie !

L'aventure commence demain ; à suivre ...

Publié dans Course

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article